Feux hivernants : la forêt boréale est à surveiller en 2024
Source : https://lavoixdunord.ca/?s=feu+de+for%C3%AAt
MEHDI MEHENNI
IJL – RÉSEAU.PRESSE - LE VOYAGEUR
Nord de l’Ontario — Les 741 feux de forêt enregistrés en Ontario en 2023 étaient tous dans le Nord de la province. Le manque de précipitations qui a caractérisé l’été de cette année favorise le phénomène d’hivernage des feux qui brulent en profondeur dans la matière organique du sol. Les experts interrogés par Le Voyageur redoutent une manifestation d’incendies sur de vastes étendues de la forêt boréale, dès le printemps 2024.
Feux hivernants : la forêt boréale est à surveiller en 2024
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La saison des incendies en Ontario — qui débute le 1er avril et se termine le 31 octobre — avait pourtant enregistré peu d’activités à ses débuts, selon la spécialiste des communications et des relations avec les médias au ministère des Richesses naturelles et des Forêts, Isabelle Chénard.
«Les feux se sont propagés de façon significative après la mi-mai, puis ont modéré après la fin juillet», souligne-t-elle.
À la fin de la saison, les flammes ont ravagé 441 474 hectares de boisé. Un plus grand nombre d’incendies a été enregistré dans le Nord-Ouest, avec 476 feux de forêt et 324 250 hectares brulés. Le Nord-Est a comptabilisé 265 feux et 116 954 hectares ravagés, selon la même source.
En 2022, l’Ontario avait enregistré presque trois fois moins d’incendies, à savoir 275 feux de forêt et seulement 2560 hectares affectés. Le nombre d’incendies déclarés en 2023 dépasse donc la moyenne des 10 dernières années, qui s’élève à 690 feux de forêt par année et 163 627 hectares brulés.
L’année 2021 avait été «beaucoup plus achalandée», avec 1198 incendies enregistrés et 793 297 hectares de forêt affectés, rappelle Isabelle Chénard.
En termes d’étendue et de persistance, c’est le feu Cochrane 11 qui a été l’un des plus dévastateurs dans la province.
«Il a été confirmé le 17 juin, alors que la température dans le Grand Nord ontarien était de plus de 30oC. Situé au sud de l’ile nommée Big Island, à environ 5 kilomètres à l’ouest de la communauté de Fort Albany, ce feu s’est étendu sur 805 hectares. Les garde-feux de l’Ontario ont été épaulés par les pompiers forestiers du Mexique et les pompiers locaux. L’incendie a causé le déplacement des résidents de Fort Albany. Il n’a été déclaré éteint que le 19 septembre», raconte Mme Chénard.
La particularité du Nord ontarien
Selon le chercheur en écologie forestière à Ressources naturelles Canada, au Centre de Foresterie des Laurentides, Yan Boulanger, «bien que l’Ontario ait été moins touché que d’autres provinces au Canada cette année, elle a quand même enregistré des superficies brulées (434 808 ha) qui sont près de trois fois supérieures à la moyenne des 25 dernières années (145 948 ha)».
Si le chercheur estime qu’il est difficile de se prononcer sur l’impact des changements climatiques en Ontario pour les feux cette année, il souligne que les indices forêt-météo, qui mesurent le danger de feux de forêt, ont tous été à «des valeurs records» pour la saison 2023.
Carte de variation des précipitations Canada, été 2023
Indices forêt-météo
Par indices forêt-météo, Yan Boulanger entend les indices qui permettent de savoir jusqu’à quel point les conditions sont favorables au feu. «Ces indices font intervenir quatre paramètres météorologiques clés, à savoir : la température, les précipitations, les vents et l’humidité relative. Évidemment, plus il fait chaud, plus c’est venteux, plus c’est sec, plus les indices sont élevés et plus les conditions sont favorables au feu».
Il précise que c’est essentiellement le déficit de précipitation cette année qui semble avoir joué un grand rôle dans les conditions favorables au feu. «Une bonne partie du Nord de l’Ontario a vécu des déficits précipitations importants de l’ordre de plus de 25 % (voir la carte) pour toute la durée de la saison de feu.»Il ajoute que la province a vécu sa deuxième année la plus sèche en termes de précipitations totales depuis 1950 et derrière l’année 1967, alors que les températures maximales observées se retrouvent dans le top 15 depuis 1950.
Yan Boulanger affirme aussi que ce n’est pas un hasard si tous les feux ont été enregistrés dans le Nord de la province, particulièrement dans l’ouest. «Toute la forêt boréale ontarienne, à fortiori celle de l’ouest de la province, est un écosystème relativement inflammable. Les conditions peuvent y être sèches et chaudes durant l’été, ce qui favorise la propagation et l’allumage des incendies forestiers», fait-il savoir.
L’expert note également que le Nord-Ouest de l’Ontario est l’une des régions qui brulent le plus au Canada. «La végétation y est très inflammable. Les grands pans de conifères, notamment de pins, d’épinettes qui sont caractéristiques de la forêt boréale, sont beaucoup plus inflammables que la végétation qui se retrouve plus au sud de l’Ontario, qui est typique de la forêt feuillue.»
«Les arbres feuillus, comme l’érable, les bouleaux, les chênes, sont beaucoup moins inflammables que les conifères, surtout une fois que les feuilles sont sorties. Ainsi, le Nord de l’Ontario peut voir de très grands feux de plusieurs milliers d’hectares, plus souvent qu’autrement causés par la foudre, alors que dans le Sud de l’Ontario, les feux sont majoritairement d’origine [humaine] et demeurent relativement petits», poursuit-il.
Il y a une région particulière du nord qui brule moins. Il s’agit des basses terres de la baie d’Hudson. «Ces territoires sont fortement occupés par des tourbières qui sont excessivement humides et qui sont donc très peu propices au développement des feux. Mais ça peut bruler quand même! D’ailleurs, cette année, on y a observé une proportion non négligeable de feux», note M. Boulanger
Le phénomène de l’hivernage et la forêt boréale
Le manque de précipitations qui a caractérisé 2023 risque d’entrainer des conditions favorables pour le retour des flammes souterraines pendant la saison 2024. Il s’agit d’incendies qui ne se manifestent pas immédiatement et qui présentent un comportement «d’hivernage». Ils couvent pendant une saison et s’enflamment au printemps suivant.
«Lorsque les conditions sont très sèches, des feux brulent en profondeur dans la matière organique du sol. Ces feux sont beaucoup plus difficiles à éteindre», explique Yan Boulanger.
Le chercheur au Centre de foresterie du Nord, Marc-André Parisien, s’attend à ce que des feux qui couvent depuis l’été 2023 réapparaissent en 2024.
«Ce fut une année record pour les feux et la majorité d’entre eux ont brulé dans des zones où il y a de bonnes couches de matière organique [notamment des tourbières]. Les agences de protection contre le feu sont à l’affut. Il est bien entendu difficile de prévoir où exactement ils vont se manifester, mais nos connaissances et nos outils sont beaucoup plus développés qu’ils ne l’étaient il y a quelques années», indique le chercheur.
Néanmoins, Marc-André Parisien soutient que ces feux ne sont détectables que quand ils font surface, aux moyens des senseurs satellitaires conventionnels. Il ajoute qu’il y a aussi des avancées au niveau des captures infrarouges, depuis les avions.
«Comme le feu peut couver dans des couches très profondes, et ce, sur une vaste étendue que nous ne voyons pas, c’est souvent impossible de l’asperger d’une assez grande quantité d’eau pour l’éteindre.»
Marc-André Parisien observe qu’il existe des appareils manuels qui peuvent permettre aux agents forestiers de parcourir une forêt et mesurer la température souterraine. Il en demeure que c’est peu envisageable étant donné l’étendue de la forêt boréale et les vastes territoires favorables aux incendies au Canada.
Une équipe de chercheurs qui a publié, en 2021, un article dans la revue scientifique Nature, affirme que «l’étendue de l’hivernage dans les forêts boréales et les facteurs sous-jacents qui influencent ce comportement restent flous».
Ils ajoutent que «les incendies hivernants dans les forêts boréales sont associés à des étés chauds générant de grandes années de feux et des brulures profondes dans les sols organiques, conditions devenues plus fréquentes dans nos zones d’étude au cours des dernières décennies».
Les résultats de leur étude sont basés sur un algorithme qui leur a permis de détecter les incendies hivernants en Alaska, aux États-Unis et dans les Territoires du Nord-Ouest à l’aide d’ensembles de données de terrain et de télédétection.
«Entre 2002 et 2018, les incendies hivernants étaient responsables de 0,8 % de la superficie totale brulée. Cependant, en un an, ce chiffre s’est élevé à 38 %», est-il souligné dans l’étude.
MEHDI MEHENNI
IJL – RÉSEAU.PRESSE - LE VOYAGEUR
Nord de l’Ontario — Les 741 feux de forêt enregistrés en Ontario en 2023 étaient tous dans le Nord de la province. Le manque de précipitations qui a caractérisé l’été de cette année favorise le phénomène d’hivernage des feux qui brulent en profondeur dans la matière organique du sol. Les experts interrogés par Le Voyageur redoutent une manifestation d’incendies sur de vastes étendues de la forêt boréale, dès le printemps 2024.
Feux hivernants : la forêt boréale est à surveiller en 2024
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La saison des incendies en Ontario — qui débute le 1er avril et se termine le 31 octobre — avait pourtant enregistré peu d’activités à ses débuts, selon la spécialiste des communications et des relations avec les médias au ministère des Richesses naturelles et des Forêts, Isabelle Chénard.
«Les feux se sont propagés de façon significative après la mi-mai, puis ont modéré après la fin juillet», souligne-t-elle.
À la fin de la saison, les flammes ont ravagé 441 474 hectares de boisé. Un plus grand nombre d’incendies a été enregistré dans le Nord-Ouest, avec 476 feux de forêt et 324 250 hectares brulés. Le Nord-Est a comptabilisé 265 feux et 116 954 hectares ravagés, selon la même source.
En 2022, l’Ontario avait enregistré presque trois fois moins d’incendies, à savoir 275 feux de forêt et seulement 2560 hectares affectés. Le nombre d’incendies déclarés en 2023 dépasse donc la moyenne des 10 dernières années, qui s’élève à 690 feux de forêt par année et 163 627 hectares brulés.
L’année 2021 avait été «beaucoup plus achalandée», avec 1198 incendies enregistrés et 793 297 hectares de forêt affectés, rappelle Isabelle Chénard.
En termes d’étendue et de persistance, c’est le feu Cochrane 11 qui a été l’un des plus dévastateurs dans la province.
«Il a été confirmé le 17 juin, alors que la température dans le Grand Nord ontarien était de plus de 30oC. Situé au sud de l’ile nommée Big Island, à environ 5 kilomètres à l’ouest de la communauté de Fort Albany, ce feu s’est étendu sur 805 hectares. Les garde-feux de l’Ontario ont été épaulés par les pompiers forestiers du Mexique et les pompiers locaux. L’incendie a causé le déplacement des résidents de Fort Albany. Il n’a été déclaré éteint que le 19 septembre», raconte Mme Chénard.
La particularité du Nord ontarien
Selon le chercheur en écologie forestière à Ressources naturelles Canada, au Centre de Foresterie des Laurentides, Yan Boulanger, «bien que l’Ontario ait été moins touché que d’autres provinces au Canada cette année, elle a quand même enregistré des superficies brulées (434 808 ha) qui sont près de trois fois supérieures à la moyenne des 25 dernières années (145 948 ha)».
Si le chercheur estime qu’il est difficile de se prononcer sur l’impact des changements climatiques en Ontario pour les feux cette année, il souligne que les indices forêt-météo, qui mesurent le danger de feux de forêt, ont tous été à «des valeurs records» pour la saison 2023.
Carte de variation des précipitations Canada, été 2023
Indices forêt-météo
Par indices forêt-météo, Yan Boulanger entend les indices qui permettent de savoir jusqu’à quel point les conditions sont favorables au feu. «Ces indices font intervenir quatre paramètres météorologiques clés, à savoir : la température, les précipitations, les vents et l’humidité relative. Évidemment, plus il fait chaud, plus c’est venteux, plus c’est sec, plus les indices sont élevés et plus les conditions sont favorables au feu».
Il précise que c’est essentiellement le déficit de précipitation cette année qui semble avoir joué un grand rôle dans les conditions favorables au feu. «Une bonne partie du Nord de l’Ontario a vécu des déficits précipitations importants de l’ordre de plus de 25 % (voir la carte) pour toute la durée de la saison de feu.»Il ajoute que la province a vécu sa deuxième année la plus sèche en termes de précipitations totales depuis 1950 et derrière l’année 1967, alors que les températures maximales observées se retrouvent dans le top 15 depuis 1950.
Yan Boulanger affirme aussi que ce n’est pas un hasard si tous les feux ont été enregistrés dans le Nord de la province, particulièrement dans l’ouest. «Toute la forêt boréale ontarienne, à fortiori celle de l’ouest de la province, est un écosystème relativement inflammable. Les conditions peuvent y être sèches et chaudes durant l’été, ce qui favorise la propagation et l’allumage des incendies forestiers», fait-il savoir.
L’expert note également que le Nord-Ouest de l’Ontario est l’une des régions qui brulent le plus au Canada. «La végétation y est très inflammable. Les grands pans de conifères, notamment de pins, d’épinettes qui sont caractéristiques de la forêt boréale, sont beaucoup plus inflammables que la végétation qui se retrouve plus au sud de l’Ontario, qui est typique de la forêt feuillue.»
«Les arbres feuillus, comme l’érable, les bouleaux, les chênes, sont beaucoup moins inflammables que les conifères, surtout une fois que les feuilles sont sorties. Ainsi, le Nord de l’Ontario peut voir de très grands feux de plusieurs milliers d’hectares, plus souvent qu’autrement causés par la foudre, alors que dans le Sud de l’Ontario, les feux sont majoritairement d’origine [humaine] et demeurent relativement petits», poursuit-il.
Il y a une région particulière du nord qui brule moins. Il s’agit des basses terres de la baie d’Hudson. «Ces territoires sont fortement occupés par des tourbières qui sont excessivement humides et qui sont donc très peu propices au développement des feux. Mais ça peut bruler quand même! D’ailleurs, cette année, on y a observé une proportion non négligeable de feux», note M. Boulanger
Le phénomène de l’hivernage et la forêt boréale
Le manque de précipitations qui a caractérisé 2023 risque d’entrainer des conditions favorables pour le retour des flammes souterraines pendant la saison 2024. Il s’agit d’incendies qui ne se manifestent pas immédiatement et qui présentent un comportement «d’hivernage». Ils couvent pendant une saison et s’enflamment au printemps suivant.
«Lorsque les conditions sont très sèches, des feux brulent en profondeur dans la matière organique du sol. Ces feux sont beaucoup plus difficiles à éteindre», explique Yan Boulanger.
Le chercheur au Centre de foresterie du Nord, Marc-André Parisien, s’attend à ce que des feux qui couvent depuis l’été 2023 réapparaissent en 2024.
«Ce fut une année record pour les feux et la majorité d’entre eux ont brulé dans des zones où il y a de bonnes couches de matière organique [notamment des tourbières]. Les agences de protection contre le feu sont à l’affut. Il est bien entendu difficile de prévoir où exactement ils vont se manifester, mais nos connaissances et nos outils sont beaucoup plus développés qu’ils ne l’étaient il y a quelques années», indique le chercheur.
Néanmoins, Marc-André Parisien soutient que ces feux ne sont détectables que quand ils font surface, aux moyens des senseurs satellitaires conventionnels. Il ajoute qu’il y a aussi des avancées au niveau des captures infrarouges, depuis les avions.
«Comme le feu peut couver dans des couches très profondes, et ce, sur une vaste étendue que nous ne voyons pas, c’est souvent impossible de l’asperger d’une assez grande quantité d’eau pour l’éteindre.»
Marc-André Parisien observe qu’il existe des appareils manuels qui peuvent permettre aux agents forestiers de parcourir une forêt et mesurer la température souterraine. Il en demeure que c’est peu envisageable étant donné l’étendue de la forêt boréale et les vastes territoires favorables aux incendies au Canada.
Une équipe de chercheurs qui a publié, en 2021, un article dans la revue scientifique Nature, affirme que «l’étendue de l’hivernage dans les forêts boréales et les facteurs sous-jacents qui influencent ce comportement restent flous».
Ils ajoutent que «les incendies hivernants dans les forêts boréales sont associés à des étés chauds générant de grandes années de feux et des brulures profondes dans les sols organiques, conditions devenues plus fréquentes dans nos zones d’étude au cours des dernières décennies».
Les résultats de leur étude sont basés sur un algorithme qui leur a permis de détecter les incendies hivernants en Alaska, aux États-Unis et dans les Territoires du Nord-Ouest à l’aide d’ensembles de données de terrain et de télédétection.
«Entre 2002 et 2018, les incendies hivernants étaient responsables de 0,8 % de la superficie totale brulée. Cependant, en un an, ce chiffre s’est élevé à 38 %», est-il souligné dans l’étude.